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" Le retour du tragique ": comte Van Rompuy
La situation internationale actuelle est très différente de ce qu'elle était il y a quelques années. Voici quelques exemples sans vouloir être exhaustif.
Le retour de la primauté de la politique. Regardez le Brexit, la guerre tarifaire, les guerres elles-mêmes, l'instrumentalisation de l'énergie et des matières premières à des fins non économiques. L'ordre multilatéral et l'UE étaient fondés sur la croyance en la liberté des marchés et la rationalité économique. Ils servaient la paix. Plus on était dépendant des autres, moins on aurait d'appétit pour faire la guerre, ce qui signifierait un appauvrissement direct. L'essor économique spectaculaire de la Chine n'aurait pas été possible sans son adhésion à l'OMC et donc l'ouverture des marchés. Les pays du Sud disent souvent que les institutions multilatérales classiques ont été mises en place par l'Occident pour leur propre bénéfice. L'exemple de la Chine démontre le contraire.
La montée du nationalisme dans les pays anglo-saxons et dans les pays ex-communistes comme la Chine et la Russie déjoue la logique économique. Ces pays sont prêts à payer un prix en termes d'appauvrissement et de pauvreté pour rendre leur pays « grand ». Le nationalisme est en contradiction avec le multilatéralisme. L'UE a été fondée pour empêcher un retour du nationalisme qui avait ruiné l'Europe lors des deux guerres mondiales. La primauté de la politique est souvent la primauté de la sécurité et de la guerre. L'économie politique a donné à la politique économique un contenu différent. C'est bien plus qu'un jeu de mots.
Le nationalisme fait également obstacle aux alliances. Dans le cadre d'une alliance, les pays se réunissent et renoncent volontairement à une partie de leur souveraineté. Un nationaliste se dresse contre cela. L'OTAN fonctionne beaucoup moins bien aujourd'hui jusqu’au jour où elle ne fonctionnera plus, depuis le retour du nationalisme. D’ailleurs, dans une alliance, on partage des valeurs et des intérêts. Mais si les valeurs diffèrent même sur les libertés, l'état de droit et la démocratie, alors la base même d'une alliance est sapée. Si même les intérêts sont également différents, dans ce cas c’est le commencement de la fin. On pourrait dire qu'un ennemi commun transcende ces différences, mais avons-nous toujours les mêmes ennemis au sein de l'OTAN ? La Russie est-elle l'ennemie à la fois des Américains et des Européens ?
Ces exemples démontrent également que la politique intérieure détermine la politique étrangère. « America first » ou « to get back control » est d'abord et avant tout un slogan destiné à des fins électorales intérieures. À l'époque, Marc Eyskens appelait cela « de verbinnenlandsing van het buitenlands beleid » Cela se produit maintenant à grande échelle. Il y a quelque chose d'autre de spécial dans le nationalisme d'aujourd'hui. Il est nostalgique d'une époque où le pays concerné se portait mieux, d'une sorte d'âge d'or. Cette époque n'a jamais existé. C'était de l'or pour une élite. Une usine à rêves. Les gens qui sont peu sûrs d'eux, craintifs, en colère et agressifs sont ouverts à ces contes de fées parce qu'ils sont un moyen de combattre les dirigeants en place. « Rendez-nous nos rêves ». Bien sûr, cela n’a aucun sens de cette façon. Après tout, le temps d'hier ne revient pas parce qu'il n'a jamais existé.
Le nationalisme extrême a un autre effet secondaire. Étant donné que les dirigeants de ce genre ne se soucient pas de l’état de droit au niveau international, cette valeur n'a pas non plus d'importance au niveau national ou vice versa. Seule la force brutale compte. Dégage ou je te fais un malheur. La démocratie est attaquée de l'intérieur, parallèlement aux actions étrangères d'états officiellement autoritaires. C'est le retour de la violence, le retour de la tragédie.
Tout cela se fait avec le consentement, parfois même d'une majorité de la population. Ce qui est étrange, c'est que ceux qui utilisent et abusent de la liberté d'opinion sur les réseaux sociaux sont les mêmes qui seraient d'accord pour abolir cette liberté ! C'est le nième paradoxe. La seule explication est qu'ils veulent refuser cette liberté d'opinion à ceux qui ne partagent pas « leur » opinion ! Et ils ne se rendent même pas compte que tôt ou tard, on leur demandera aussi de garder le silence et d'obéir, surtout si les dirigeants ne peuvent pas honorer leurs promesses concernant l'Âge d'Or, ce qui sera bien sûr le cas.
La question est de savoir pourquoi beaucoup de gens sont tellement en colère et frustrés. Nous ne vivons pas dans les années 30 du siècle dernier avec un chômage de masse et un appauvrissement. Ou pensent-ils vraiment qu'avec zéro migration ou zéro pollution, l'insatisfaction disparaîtra ? Peut-être cherchent-ils un nouveau bouc émissaire. Je n'ai pas non plus d'explication concluante.
Mais un élément qui est généralement négligé est la perte de capital social et familial dans notre société. Beaucoup sont livrés à eux-mêmes. En raison de ce manque de connexions (liens), l'individualisation règne en maître. La révolution digitale a enfermé les gens encore plus dans leur petit monde. La santé mentale se détériore de façon dramatique. On peut le voir dans l'augmentation des addictions de toutes sortes (drogues, alcool, gaming, porno), des burn-outs et des dépressions, des pensées suicidaires et des suicides eux-mêmes. Les jeunes y sont plus en proie que leurs parents. La crise de la démocratie fait référence à la crise de la société.
Heureusement, il y en a encore beaucoup qui résistent et veulent vivre une vie aussi normale et équilibrée que possible. Peut-être même s'agit-il d'une majorité silencieuse. Du moins, je l'espère.
Nous remercions le comte Van Rompuy pour la rédaction de cet article.
