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Profession : juge de paix
Frédéric de Montpellier d’Annevoie de Villermont
Licencié en droit et titulaire d’un DES en droit de l’environnement et droit public immobilier, j’ai entamé et poursuivi une carrière d’avocat au barreau de Namur dans un cabinet généraliste, durant dix ans; après la réussite de l’examen d’aptitude professionnelle à la magistrature en 2011, j’ai été nommé substitut du Procureur du roi près le tribunal de première instance de Neufchâteau, avant d’être nommé quatre années plus tard, soit début 2017, juge de paix du canton de Thuin.
Philippe de Potesta : Quels aspects de la magistrature vous ont semblé complémentaires ou différents de votre passé d’avocat ?
Frédéric de Montpellier : Le barreau et ses trois premières années de stage constitue à mon sens la meilleure école pour un jeune juriste, qui, dans des domaines et des situations très variés et parfois tragiques, va conseiller son client, défendre ses intérêts, le cas échéant dans le cadre d’une procédure contentieuse. D’une certaine façon l’avocat est le premier juge d’un dossier qu’il jaugera et tâchera d’orienter. Le substitut du procureur, qui s’occupe essentiellement des matières pénales, soit qui touchent à l’ordre public, dirige les enquêtes et initie s’il y a lieu les poursuites devant les tribunaux. Bien plus qu’un avocat de l’accusation, il propose une solution de justice en qualité de garant de l’intérêt général. Enfin, un magistrat du siège, tel qu’un juge de paix, a pour mission de trancher les litiges qui lui sont soumis par les parties au procès. Il apporte une solution juridique finale au dossier, sous réserve d’un éventuel recours.
PH de P : Comment se déroule une journée typique dans l’exercice de vos responsabilités ?
F de M : Le Juge de paix est un juge de proximité comme on dit dans le jargon. Il est revêtu d'une juridiction contentieuse (par exemple les baux, le droit des biens, les copropriétés etc) et d'une juridiction gracieuse (protection des personnes vulnérables, soit les mineurs, les majeurs incapables et les malades mentaux). Chaque semaine, je tiens une audience d’introduction ou de plaidoiries, une audience de conciliation, une audience de cabinet (la protection des personnes), des vues des lieux généralement avec expert (architecte, géomètre, forestier ou agricole), des visites en maison de repos ou dans les hôpitaux (protection des personnes). Soit un quotidien partagé entre le travail purement intellectuel (rédaction de jugements) et un travail de terrain au contact des justiciables où la mission de conciliateur du juge de paix prend tout son sens. Lorsque le juge de paix exerce sa juridiction gracieuse (mineurs, protections des incapables majeurs, des malades mentaux), il est fréquent qu’il tente de mettre du baume sur des relations humaines abîmées ou les blessures de personnes désespérées. Ces contacts permettent parfois de parvenir à leur dire qu’elles sont uniques, et que la grandeur et le sens d’une vie ne se mesurent pas à la performance ou la richesse mais à l’amour que l’on répand, d’abord vers nos proches. Et parfois on assiste à des miracles !
Ph de P : Selon vous, quels sont les enjeux majeurs pour la justice face aux mutations de notre société ?
F de M : Plusieurs éléments sont essentiels pour qu’une justice efficace soit rendue. Une société juste ne peut exister que si les magistrats ont la capacité de remplir leur rôle dans des conditions optimales. Ces dernières années, on a souvent déploré le sous-financement de la justice. Par ailleurs, l’indépendance fonctionnelle du pouvoir judiciaire doit être garantie, lequel doit être protégé des pressions indues du pouvoir exécutif (on évoque par exemple le fait que les fonctionnaires fédéraux puissent être un jour passé au screening de la Sûreté de l’État). Une autre source d’inquiétude pourrait être consécutive à l’adoption de législations qui attaquent la dignité et l’intégrité humaine, notamment en matière éthique. A l’instar de l’objection de conscience des médecins, qui est de plus en plus remise en cause, le magistrat pourrait être confronté à des cas de conscience.
Ph. de P. : Merci beaucoup à vous, Frédéric , de nous avoir partagé votre amour du métier ainsi que vos réflexions à propos de la justice et de notre société actuelle .
Interview réalisé par Philippe de Potesta