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28/01/2025

L’Everest de la presse écrite et de nos démocraties

Les défis actuels de la presse écrite ne sont pas minces : ils sont titanesques.

 

Le bon fonctionnement de nos démocraties repose directement sur la lucidité des opinions publiques par rapport aux grands enjeux de nos sociétés. Or, l’Histoire montre combien la manipulation des opinions publiques est possible, et peut mener à des dérives catastrophiques. La presse libre a joué historiquement un rôle pivot dans les sociétés démocratiques ; grâce à ses rédactions professionnelles, aux grands faits de société, aux débats, à la vie politique, sociale et économique…

Un gouvernement vantera toujours son bilan, une entreprise communiquera toujours sur ses actions positives, un parti politique exprimera toujours son analyse des enjeux dans la perspective de son idéologie, idem pour un syndicat. La presse indépendante n’est pas juge et partie. Ses journalistes sont formés à l’esprit critique, bien sûr, la presse n’est pas exempte de biais et d’erreur, mais structurellement, elle n’a des comptes à rendre qu’à ses lecteurs. La qualité de son travail est le gage de sa crédibilité et de son succès.

 

Et ce qui confère à la presse sa liberté, c’est son autonomie économique, c’est en effet grâce aux lecteurs abonnés (au journal ou aux éditions digitales) ou qui achètent leur journal, ainsi qu’aux annonceurs publicitaires, que les journaux peuvent rémunérer les journalistes, agences de presse et tous les autres services indispensables, sans dépendre d’un pouvoir public – politique subsidiant, susceptible d’interférer dans cette autonomie d’action. 

 

Une concurrence destructrice

Sous l’Ère de la presse papier, les revenus étaient au rendez-vous avec un journal papier que les lecteurs achetaient en grand nombre. Le produit se plagiait difficilement. Et puis, surtout, les pouvoirs publics ne le concurrençaient pas. 

 

Sous l’Ère internet, le modèle économique a radicalement changé. Les médias internet se commercialisent difficilement, leurs contenus sont facilement plagiés, et les pouvoirs publics leur font une concurrence destructrice. Depuis le début des années 2000, les éditeurs de presse ont investi dans le développement des médias digitaux, sites internet et applications mobiles. Les audiences sur ces médias digitaux sont devenues très importantes, plus importantes qu’elles ne l’étaient sous l’Ère papier. 

 

Mais voilà, les revenus générés par cette économie digitale de la presse restent encore aujourd’hui insuffisants pour couvrir les coûts de production et de diffusion des contenus rédactionnels. Et le gouvernement de la Vivaldi, en supprimant brutalement la concession postale pour la distribution des journaux, a porté un coup catastrophique à la presse, à tel point qu’aujourd’hui, les éditeurs ne savent pas comment ils pourront poursuivre l’activité de presse papier au-delà de 2026. Sans une modification majeure des modalités de distribution, le coût du portage des abonnements papier à domicile deviendra trop élevé pour de nombreuses zones géographiques. 

 

En ce début 2025, force est de constater que les autorités publiques à tous les niveaux, européens, belges, communautaires, sont en échec quant à la création d’un cadre juridique qui permette à la presse de trouver son modèle économique à l’Ère digitale. À titre d’exemples, la Communauté française (FWB) mène une concurrence destructrice via le site de la RTBF qui freine le marché payant de la presse en ligne, le gouvernement fédéral a supprimé la concession postale avec pour conséquence une explosion des coûts de distribution, l’Europe et la Belgique n’arrivent pas à prendre des mesures juridiques efficaces pour assurer une juste rémunération des contenus de la presse spoliés par les plateformes internationales et les acteurs de l’intelligence artificielle ? Enfin, les autorités de protection de la vie privée rendent très difficile la collecte des données indispensables pour commercialiser les sites d’information.  

 

Ère des fake news

Les réseaux sociaux ont permis l’explosion de toutes les formes de manipulations de l’information, depuis les puissances étrangères, en passant par les complotistes, et activistes. Alors qu’en face de ce tsunami de fake news, il faudrait renforcer la presse indépendante, c’est – vous l’aurez compris - l’inverse qui se passe. 

 

Le Brexit, les victoires de Donald Trump, l’assaut meurtrier du Capitole, la propagande du Kremlin, les théories complotistes, certaines polémiques autour du Covid, et la montée des populismes de gauche comme de droite témoignent des conséquences inquiétantes de la propagation des fake news. Avec l’intelligence artificielle, nous entrons dans une nouvelle Ère de la manipulation, les montages photos, vidéos, sons, seront monnaie courante, il sera de plus en plus difficile de distinguer le vrai du faux. 

 

Dans un tel contexte, on peut penser que les citoyens se référeront de plus en plus aux sources crédibles, professionnelles d’information. On assiste toutefois à deux mouvements contradictoires, alors que les sources d’information professionnelle deviennent de plus en plus importantes pour éviter d’être pollué par les fake news, une partie significative de la population préfère partager des fake news que des informations vérifiées … 

 

Infime espoir

La victoire de Donald Trump et l’ascension politique d’Elon Musk (patron du réseau X) ont poussé le dirigeant de Meta à changer de cap : son groupe ne compte plus vérifier la véracité des publications diffusées sur Facebook ou Instagram. L’ouverture des vannes sur X a déjà transformé l’ex-Twitter en une décharge publique. Ces politiques, favorables à l’extrême droite et au populisme, menacent la résilience et les fondements de nos démocraties : rejet des politiques, critique des médias traditionnels, polarisation violente de la société, avec des violences verbales et physiques à la clé. Nos pays se trouvent ainsi fragilisés par leur dépendance aux géants technologiques américains et par l’addiction aux plateformes comme X, Facebook et Instagram.

 

Les patrons des GAFAM pourraient devenir les faiseurs de rois des mouvements radicaux et extrémistes. C’est l’heure du crash-test. Il est désormais évident que les réseaux sociaux sont des armes politiques redoutables. Leurs algorithmes nous enferment dans nos convictions ou nous noient dans les eaux troubles du complotisme et du mensonge éhonté, répété et assumé.

 

Cependant, cette évolution pourrait se retourner contre eux pour autant qu’un sursaut de lucidité habite une majorité de citoyens, les grands annonceurs publicitaires et les gouvernements. La seule réponse aux fake news, c’est une information de qualité en abondance, grâce à un secteur de la presse libre florissant. Pour cela, nos démocraties ont besoin de citoyens en grands nombres qui s’abonnent à une presse de qualité de leur choix, nos démocraties ont besoin d’acteurs économiques responsables, qui investissent leurs budgets marketing dans des médias de qualité, nos démocraties ont besoin de gouvernants qui adoptent des mesures qui permettent l’émergence d’une économie digitale de la presse. L’opportunité d’un revirement historique existe. Reste à la saisir…

 

 

Dorian de Meeûs

Rédacteur en chef de La Libre Belgique

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