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04/11/2025

Entretien du baron Johan Swinnen (JS) avec le chevalier Loïc De Cannière (LDC), auteur du livre « L'Afrique : un avenir rêvé »

JS : Dans le livre « Afrika : een gedroomde toekomst » (L'Afrique : un avenir rêvé), vous dressez un tableau assez optimiste de l'avenir du continent africain. Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

LDC : Je suis allé en Afrique à de nombreuses reprises au cours des trente dernières années : d'abord pour la société d'ingénierie maritime DEME (qui fait partie du groupe Ackermans & van Haaren), puis en tant que PDG d'Incofin Investment Management (« Incofin IM »). Avec Incofin IM, une société d'investissement à impact, nous avons investi plus d'un demi-milliard d'euros dans 23 pays africains au cours des vingt dernières années, dans des institutions de microfinance, des entreprises agricoles et alimentaires et des petites entreprises productrices d'eau potable. Les investissements d'Incofin IM visent à fournir un rendement financier combiné à un impact social positif mesurable. L'objectif est d'intégrer au maximum les petits entrepreneurs et les agriculteurs dans le circuit économique et de leur offrir ainsi des perspectives d'avenir.

Je suis fasciné par l'Afrique et j'ai voulu mettre mes expériences et mes analyses par écrit mais en utilisant un point de vue spécial. Ce qui m'a frappé, c'est que nos médias ont l'habitude de dresser un tableau très pessimiste de l'Afrique, où prédominent la guerre, la faim et la misère. Cette image est très unilatérale. J'ai souvent vu beaucoup de développements porteurs d'espoir en Afrique, qui sont à peine rapportés par les médias. D'où le titre de mon livre : L'Afrique, un avenir rêvé. D'ailleurs, en tant qu'économiste, je souhaitais évaluer l'évolution du continent africain d'ici à 2050. On a beaucoup parlé et écrit sur le passé de l'Afrique, mais peu sur son avenir. Je voulais avant tout faire une analyse de l'avenir de ce continent à la population très jeune.


JS : Vous analysez donc l'avenir du continent africain en tant qu'économiste et investisseur. Quels sont les points clés de votre analyse ?

PMA : Je pars de l'évolution démographique de l'Afrique subsaharienne. Sa population (1,1 milliard d'habitants aujourd'hui) doublera d'ici 2050 et triplera d'ici la fin du siècle. En conséquence, plus de 20 millions de jeunes entreront sur le marché du travail chaque année au cours des trois prochaines décennies. C'est un chiffre énorme. Il est essentiel que la croissance de l'emploi suive le rythme de la croissance démographique et que l'Afrique réussisse ainsi à créer 20 millions d'emplois supplémentaires par an. Sinon, le chômage, la pauvreté et les troubles menacent. Il ne fait aucun doute que l'augmentation du chômage augmentera la pression migratoire, y compris vers l'Europe. Dans ce livre, j'examine si et comment l'Afrique peut faire face à cette nécessaire création massive d'emplois.

 

JS : Votre analyse de l'avenir de l'Afrique n'est pas vraiment optimiste, objectivement parlant. Qu'est-ce qui justifie votre optimisme ?

PMA : L'Afrique est en effet confrontée à d'énormes défis. Mais je vois deux raisons d'être optimiste.

Tout d'abord, les Africains excellent par leur créativité et leur esprit d'entreprise. Le professeur Clayton Christensen de la Harvard Business School a décrit dans son livre « The Prosperity Paradox » comment les Africains ont la capacité particulière de faire croître et prospérer les entreprises dans un environnement à faible pouvoir d'achat, dans lequel les entreprises occidentales ne sont pas disposées à opérer. Je constate que l'Afrique compte de plus en plus de « licornes » à succès, des entreprises qui valent plus d'1 milliard de dollars. En outre, de grands conglomérats panafricains émergent dans le secteur alimentaire et dans le secteur bancaire. Ce n'était guère le cas il y a dix ans. Et bien sûr, il y a les millions de micro-entrepreneurs dynamiques, dont j'en ai vu et parlé à des centaines.

Deuxièmement, l'évolution démographique en Afrique a aussi un côté très positif. Les Africains ont en moyenne 19 ans. Dans l'Union européenne, l'âge moyen est de 44 ans. L'écart d'âge entre l'Afrique et l'Europe est donc de 25 ans. Une population jeune est un vivier de créativité et d'innovation. On le constate dans la croissance des secteurs créatifs (mode, musique, cinéma, arts plastiques) et dans le secteur technologique (fintech, agritech). Une population jeune, qui a un accès facile aux médias sociaux, fait pression sur les régimes autoritaires et les oblige à plus de transparence, à des réformes démocratiques et au respect des droits de l'homme. C'est une bonne chose pour l'Afrique.


JS : Quel rôle voyez-vous pour l'Europe, qui partage une longue histoire pas toujours irréprochable avec l'Afrique ? 

PMA : Il est temps de tourner la page du passé et d'œuvrer à un partenariat d'égal à égal entre l'Europe et l'Afrique, le « continent jumeau » comme l’appelait l'ancien président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker. Dans un monde où les tensions géopolitiques s'intensifient, l'Europe et l'Afrique doivent former un tandem qui sert les intérêts des deux parties, par exemple dans les domaines de l'énergie, du climat, des matières premières, de la technologie et de la mobilité de la main-d'œuvre. En poursuivant explicitement l'intérêt mutuel, l'Europe se distinguera positivement de la manière dont d'autres puissances étrangères, telles que la Chine et la Russie, agissent en Afrique. L'Union Européenne a fait des pas dans la bonne direction. Les Africains aiment travailler avec l'Europe, mais l'Europe doit faire preuve de plus de volonté de dialogue et de combativité. Sur ce dernier point, l'Europe a beaucoup à apprendre de la Chine. Je reçois ce message de nombreux interlocuteurs africains.

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